samedi 15 novembre 2008

Approche théologique du dogme de l’Immaculée Conception / Abbé Guillaume de Menthière

Le pape Pie IX, « après avoir imploré le secours de toute la cour céleste, et invoqué avec gémissement l’Esprit consolateur », comme il le dit dans sa bulle, a décidé de définir, ce dogme de l’Immaculée Conception.

Puis dans sa bulle Ineffabilis Deus, il y a cette explosion de joie qui a étreint, à vrai dire, toute la chrétienté : « En vérité, notre bouche est pleine de joie, dit le pape Pie IX, et notre langue est dans l’allégresse. »

Alors comment peut-on essayer de rendre compte de cette Immaculée Conception ?
Partons de ce simple fait : Marie est pleine de grâce. C’est ce que nous disons chaque jour dans le Je vous salue Marie, et il faut revenir sur cette expression étonnante.

L’ange Gabriel salue la Vierge Marie, au jour de l’Annonciation, non pas en lui disant « Je vous salue, Marie ». C’est l’Eglise qui a rajouté le mot de Marie, pour que l’on comprenne de qui il s’agit.

Mais l’ange dit : « Kaïré, kékaritôménè », « Réjouis-toi, comblée de grâce ! » (Lc1:28).
Tout se passe comme si ce mot, « kékaritôménè », « comblée de grâce », était le nom propre de la Vierge Marie, comme si Marie ne portait pas d’autre nom quand Dieu voulait la saluer. Il ne trouve pas d’autre nom pour la saluer, pour s’adresser à elle, que le mot « pleine de grâce », « kékaritôménè ».

Et je vous fais remarquer que l’ange salue Marie comme pleine de grâce avant, bien entendu, que Marie ait dit oui, avant qu’elle ait prononcé son Fiat, et donc avant que l’Esprit-Saint ne vienne sur elle, la couvrant de son ombre, pour qu’en elle le Verbe se fasse chair. C’est donc avant l’Incarnation, et avant l’obombrement de l’Esprit-Saint que Marie est déclarée pleine de grâce.

Alors on peut pousser des exclamations comme :
· Saint Bernard, en disant à la Vierge : Enfin, Marie, si vous êtes pleine de grâce avant l’Incarnation, que sera-ce après ?
· le Père Grou, qui est un théologien du XIXe siècle, on peut dire à Marie : Marie, si vous êtes déjà pleine de grâce avant l’annonciation, qu’une nouvelle venue de l’Esprit-Saint vous prend sous son ombre au moment de votre Fiat, et qu’à nouveau vous êtes présente le jour de la Pentecôte, pour qu’avec toute l’Eglise vous receviez l’Esprit-Saint, alors vous avancez de plénitude de grâce en plénitude de grâce.

Et toutes ces plénitudes de grâces vont croissant, un peu comme on dit de Jésus dans l’Evangile qu’ « Il croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc2:52).

C’est étonnant, Jésus, Il est plein de grâce, Il est la source de toute grâce, avec lui toute grâce vient sur la terre, nous recevons de sa plénitude grâce sur grâce, comme dit l’Ecriture. Et pourtant de Jésus il est dit qu’il croissait en sagesse et en grâce.

Et bien Marie avance ainsi de plénitude en plénitude de grâce pour devenir, selon l’expression de Saint Bernard, « archipleine et débordante de la grâce, qui rejaillit sur toute l’humanité ».

Alors, il suffit de prendre au sérieux cette appellation « comblée de grâce » pour comprendre que Marie est l’Immaculée. Car enfin, si Marie est comblée de toutes les grâces qu’une créature peut recevoir, et c’est bien ce que nous disons, ce que nous croyons, ce que nous disons chaque jour dans le Je vous salue Marie, alors comment oser lui refuser cette grâce de l’immaculée conception ?

Marie possédait, c’est sûr, toutes les grâces qu’une pure nature humaine peut recevoir, et assurément elle avait cette grâce de l’immaculée conception, cette grâce d’avoir été, par un privilège, venant déjà de la mort et de la Résurrection de son Fils, préservée de tout péché, de toute souillure du péché originel.

Comme disait le Psaume, dans la Vulgate (Ps 44:14): « Toute la beauté de la fille du roi vient de l’intérieur ». Et bien toute la beauté de Marie vient de cette grâce sanctifiante qui, en elle, depuis le premier instant, la préserve de toute atteinte du péché originel.

Dans le Je vous salue Marie, nous disons aussi: « Tu es bénie entre toutes les femmes », et c’est Elisabeth, remplie de l’Esprit-Saint, donc particulièrement inspirée, ce jour-là, qui salue Marie en lui disant : « Tu es bénie entre toutes les femmes » (Lc 1:42).

Tous les exégètes vous expliqueront qu’en langue sémitique, cette expression n’est aucunement équivoque, elle ne peut vouloir dire qu’une chose : Marie est la plus bénie des femmes. En effet, la langue hébraïque ne connaît pas le superlatif, et donc elle distingue une personne en la mettant au-dessus de la masse des autres. « Tu es bénie entre les femmes » signifie donc : « Tu es la plus bénie des femmes. »

Alors voyons les femmes de l’Ancien Testament.

Voyons toutes les femmes qui ont précédé Marie. Elles ont été bénies, elles aussi, pour nombre d’entre elles. Et voyons notamment ces femmes fortes, dont on dit qu’elles ont vaincu l’ennemi d’Israël.

Vous le savez, cette expression « Tu es bénie entre les femmes », on la trouve presque telle quelle dans l’Ancien Testament, au livre des Juges. Et elle est adressée par qui ? par une femme précisément, Débora ; et à qui ? à une autre femme, Yaël. Vous trouvez cela au livre des Juges, au chapitre 5.

Que s’est-il passé ? Yaël a terrassé l’ennemi d’Israël, en lui plantant un piquet dans la tempe, ce qui est très désagréable, et en le fichant dans le sol. Et le pauvre Sisera, ennemi d’Israël, en est mort, naturellement. Alors Débora, devant cette victoire sur le bourreau Sisera, chante la gloire de Yaël, en lui disant ceci : « Bénie entre les femmes soit Yaël, entre les femmes qui habitent les tentes, bénie soit-elle ! » (Jug 5:24).

Marie n’est-elle pas proclamée par Elisabeth comme la nouvelle Yaël, qui, pour nous, a terrassé l’ennemi du genre humain, l’infâme serpent de la Genèse ? Marie vainc le péché, vainc notre ennemi, l’ennemi du vrai Israël. Car, nous ne connaissons qu’un ennemi, c’est le péché.

On peut penser aussi à Judith. Judith, c’est une situation similaire. Judith va couper, comme chacun sait, la tête d’Holopherne, la brandir, et tout le peuple, en extase devant cette victoire extraordinaire qu’a remportée Judith, s’écrit : « Soit bénie, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes de la terre ; et béni soit le Seigneur Dieu, Créateur du ciel et de la terre » (Jdt 13:18).

Si on regarde le texte de la Vulgate, c’est à dire de la Bible latine, voilà ce qui est dit (Judith s’exclame, en brandissant la tête d’Holopherne) : « Vive le Seigneur, car son ange m’a gardé tandis que j’allais vers Holopherne. Le Seigneur n’a pas permis que je fusse souillée, mais il m’a fait revenir parmi vous sans tache, joyeuse de sa victoire et de votre libération. Célébrez-le tous car il est bon et sa miséricorde est éternelle » (Vulgate, Jdt 13:20-21).

Voilà que Judith, bénie entre les femmes, a la tête d’Holopherne entre les mains, et qu’elle s’écrit : « Le Seigneur m’a fait revenir vers vous sans tache, Il n’a pas permis que je fusse souillée ». Marie est encore plus bénie que Judith dont il est dit que le Seigneur n’a pas permis qu’elle fût souillée. Judith chantera elle-même un cantique de victoire, d’ailleurs, qui ressemble trait pour trait (vous lirez ça au livre de Judith, au chapitre 16) au Magnificat de la Vierge.

On pourrait citer Esther, le cas est similaire. Le roi a été séduit par sa beauté, elle a trouvé grâce et faveur plus qu’aucune autre fille, devant Assuérus, qui la préfère à toutes les autres femmes (v. Est 2:17).
On pourrait citer aussi, bien sûr, au livre des Proverbes, la femme forte. Qu’est-il dit de la femme forte, en Proverbes, 31 ? Il est dit ceci : « Elle a bien plus de prix que les perles ! » (31:10). « Force et dignité forment son vêtement, elle rit au jour à venir. Avec sagesse, elle ouvre la bouche, sur sa langue : une doctrine de piété » (31:25-26). C’est de la Vierge qu’on peut dire vraiment ce qui est dite de la femme forte : « Nombre de femmes ont accompli des exploits, mais toi, tu les surpasses toutes ! » (3129).

Si l’on continue, vous voyez où je veux en venir, Marie est plus bénie que toutes ces femmes que je viens de citer, plus bénie aussi, évidemment, que la femme par excellence, à savoir Eve. Si Eve a été bénie, puisqu’elle a été créée immaculée, elle a été créée sans péché, combien plus Marie est-elle bénie ! Et ce que l’on accorde à Eve, comment peut-on le refuser à la pleine de grâce, à Marie ?

Newman a été un des propagandistes du dogme de l’Immaculée Conception, et il dit que cette vérité que Marie est la nouvelle Eve comme Jésus est le nouvel Adam est le grand enseignement rudimentaire de l’antiquité chrétienne. Dès le IIe siècle, avec Saint Justin et Saint Irénée, nous avons des textes superbes qui manifestent Marie comme la nouvelle Eve. Et bien, de même que Eve avait été créée sans péché, on doit dire autant, au moins autant, de la Vierge Marie conçue sans péché.

Voilà ce qu’écrit le Cardinal Newman à un de ses jeunes amis anglicans : « Je vous le demande, avez-vous l’intention de nier que Marie ait reçu autant que Eve ? Est-ce trop inférer que Marie, devant coopérer à la rédemption du monde, avait reçu au moins autant de grâce que la première femme qui fut, il est vrai, donnée comme aide à son époux, mais coopéra seulement à sa ruine ? »

Pierre Corneille, dans ce XVIIe siècle, qui est le grand siècle des âmes, mais qui fut aussi le grand siècle de l’Immaculée Conception, écrivait ceci, avec sa langue poétique :
« Cette Eve cependant qui nous engage aux flammes, Au point qu’elle est formée est sans corruption, et la Vierge bénie entre toutes les femmes serait-elle moins pure en sa conception ?

Non, non, n’en croyez rien, et tous tant que nous sommes publions le contraire à toute heure, en tout lieu: Ce que Dieu donne bien à la mère des hommes, ne le refusons pas à la Mère de Dieu.»

Ce parallèle entre Marie et Eve a été développé de toutes sortes de manières, par tous les écrivains ecclésiastiques, il est très essentiel pour comprendre tout le dogme marial, et à vrai dire pour comprendre l’histoire du salut. Il faut se rappeler qu’en bonne théologie, la protologie éclaire l’eschatologie et réciproquement.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que les évènements du début de l’humanité, Adam et Eve, éclairent ces temps derniers où nous sommes. De même que actuellement dans le Paradis, au Ciel, sont en corps et en âme Jésus, nouvel Adam, et Marie, nouvelle Eve, comme il résulte du dogme de l’Assomption, de même au paradis terrestre étaient Adam et Eve.

Vous voyez, il y a un parallèle que nous devons faire sans cesse entre les évènements des derniers temps, dans lesquels nous sommes entrés depuis la mort et la Résurrection de Jésus, et les évènements de la protologie, ces évènements des origines de l’humanité.

Alors, vous le savez, un verset va être déterminant dans la question de l’immaculée conception, ou du moins va jouer un très grand rôle, c’est le verset Genèse 3:15, on l’appelle le protévangile.

Pourquoi le protévangile ? Parce que c’est la première annonce d’une victoire sur le péché.

A peine Adam et Eve ont-ils commis le péché originel qu’aussitôt Dieu entrevoit le plan de leur rédemption et le plan de leur salut.

Et que dit-il ?

Il s’adresse au serpent et il dit : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité. Celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon. »

Ce verset, tel que nous le lisons, est susceptible de plusieurs sens, et ces sens ont été donnés tour à tour suivant les différentes traductions. En hébreu, c’est la descendance de la femme qui écrasera la tête du serpent.
C’est ce que nous avons dans nos bibles actuellement.

En grec, dans le grec de la Septante, cette traduction qui a été faite au IIIe siècle avant Jésus-Christ par des rabbins, on comprend que c’est un des descendants de la femme qui écrasera la tête du serpent. Autrement dit, c’est un sens messianique, on entrevoit déjà un Messie qui viendra pour terrasser le mal.

Mais, dans la traduction latine de la Vulgate, qu’ont utilisée tous les Pères et les Docteurs de l’Eglise latine, il est dit que c’est la femme qui écrasera le serpent. En effet, Saint Jérôme traduit ainsi : « Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum ».

Celle-ci, ipsa, ne peut faire référence qu’à la femme. Autrement dit, Dieu annonce au serpent que la femme lui écrasera la tête et le terrassera.

Ainsi, nous comprenons que Marie est celle qui était annoncée par Genèse 3:15 ; en tout cas, la théologie latine l’a toujours compris ainsi : Marie est cette femme qui écrase le serpent diabolique de ses talons.

La Vierge est représentée avec le serpent diabolique, qu’elle écrase de ses pieds. Donc Marie vainc le mal, Marie est l’arche de salut qui surnage seule sur les eaux du déluge.

Les Pères de l’Eglise et les Docteurs vont multiplier les images bibliques pour montrer que Marie est l’Immaculée.

Elle est la blanche toison rafraîchie par la rosée du Ciel, tandis que toute la terre demeure dans la sécheresse (allusion à Gédéon, au livre des Juges), elle est la flamme que les grandes eaux n’ont pu éteindre (allusion au Cantique des Cantiques), elle est le lys qui fleurit dans les épines (Cantique des Cantiques aussi), elle est le jardin fermé au serpent infernal, l’hortus conclusus (Cantique toujours); au paradis terrestre, le serpent avait pu entrer, je ne sais pas par où il est entré, mais en tout cas, il a pu s’insinuer, s’infiltrer, par quelque part, en tout cas il y était ; tandis que Marie est l’hortus conclusus, le jardin fermé où le serpent ne peut pas entrer. Il s’est brisé, le diable, sur l’humilité de la Vierge Marie.

Il y a des très beaux textes de Bernanos qui montrent que le diable, avec toutes ses menées sataniques, n’a rien pu contre le roc inaltérable de l’humilité de la Vierge.

Si nous sommes parfaitement humbles, le diable ne peut rien contre nous.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait : « comme je suis trop petite, le diable passe au dessus de moi ».

Ce n’est pas mal. C’est aussi pour cela que nous avons été oints d’huile lors de notre confirmation, pour être forts contre toutes les menées du diable. Quand le diable veut nous attraper, comme on est oint de l’huile de notre confirmation, et bien hop ! ça échappe comme une savonnette.

On applique à la Vierge les versets du Cantique des cantiques : « Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans tâche aucune » (47), ou bien encore ceux du livre de la Sagesse : « elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir immaculé de l’activité de Dieu, une image de sa bonté » (726), « plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations. Comparée à la lumière, elle l’emporte » (729).

Evidemment, Marie se montre la nouvelle Eve non seulement au moment de l’Annonciation, où elle répond positivement à l’appel de Dieu, là où Eve avait répondu positivement, elle, à la sollicitation du démon. Mais elle se montre la nouvelle Eve aussi à Cana.

Dans le fond, qu’est-ce que c’est que Cana, si ce n’est Marie, la nouvelle Eve qui presse le Nouvel Adam, Jésus, vers l’heure du salut, de même que l’antique Eve avait pressé l’antique Adam vers l’heure de la chute ? Elle est aussi, et tous les exégètes maintenant le reconnaissent, montrée par Saint Jean au pied de la Croix comme la nouvelle Eve, et vous connaissez toute la littérature patristique notamment sur l’arbre de la Croix qui laisse pendre le fruit béni de notre rédemption, de même qu’autrefois l’arbre dans le jardin avait laissé pendre le fruit maudit de notre perte, de notre chute. Il y a tout ce parallélisme antithétique que vous connaissez bien, je n’y reviens pas.

Il faut donc dire et tenir, comme le Concile Vatican II le rappelle dans Lumen Gentium que Marie est la nouvelle Eve, et que le nœud dû à la désobéissance d’Eve s’est dénoué par l’obéissance de Marie.

Ce que la vierge Eve avait noué par son incrédulité, la Vierge Marie l’a dénoué par sa foi.

Comparant Marie avec Eve, les Pères de l’Eglise appellent la Vierge la mère des vivants, et déclarent souvent : par Eve, la mort ; par Marie, la vie. Ce parallèle est essentiel pour comprendre l’histoire du salut, dans le prolongement de ce parallèle scripturaire que Paul fait entre Jésus et Adam. Les Pères ont beaucoup joué sur Ave, Eva. En latin, ça marchait bien évidemment. Et puis vae aussi. Vae, ça veut dire malheur. Alors, l’Ave que Marie entend est pour nous le commencement de la fin de ce vae qu’Eve a entendu.

Alors, qu’est-ce que l’on peut dire sur la difficulté du dogme ?

Pourquoi a-t-on attendu si longtemps ?

Vous savez bien que le nœud de la difficulté n’est pas de dire que Marie soit toute sainte et sans péché. Ça, tout le monde est d’accord, et depuis l’origine. Il y a bien Tertullien ou Origène qui ont dit, à un moment ou un autre, que Marie aurait commis quelque péché. Mais en gros, on peut dire que, depuis le IIIe siècle, toute l’Eglise, tant en Orient qu’en Occident, est unanime, pour dire que Marie n’a jamais commis de péché. Là-dessus, il n’y a pas de problème.

En revanche, la difficulté, c’est de savoir si Marie a été affectée par le péché originel. C’est bien ça le fond de notre dogme.

· Les théologiens, très rapidement, même Saint Augustin, confessent que Marie a été sanctifiée très tôt, dès le sein maternel. C’est la position de Saint Bernard, c’est la position de Saint Thomas, c’est-à-dire que Marie a été sanctifiée comme Jean-Baptiste, comme Jérémie, dès le sein maternel.

Autrement dit, qu’elle a été, comme tout homme, marquée par le péché originel (c’est ce que pensent Saint Thomas ou Saint Bernard), mais, très vite, elle en a été purifiée, dès le premier instant quasiment. Donc elle a été marquée, parce que c’est une fille d’Adam, mais elle en a été purifiée. Or, le dogme dit plus que ça. Le dogme ne dit pas que Marie a été purifiée dès le sein maternel du péché originel, il dit qu’elle a été préservée, autrement dit que jamais le péché originel ne l’a marquée, à aucun moment.

Alors vous le savez bien, la difficulté de Saint Thomas et de Saint Bernard, c’était de se dire : s’il en est ainsi, Jésus a racheté tous les hommes, sauf Marie. C’est quand même un comble. La seule pour qui Jésus n’est pas venu, c’est Marie. Ça ne va pas. Marie doit aussi être la bénéficiaire de la rédemption opérée par son Fils.

· La difficulté a été levée, cela vous a sans doute été dit, par Duns Scot et l’école franciscaine, en comprenant qu’il y a deux manières dont Dieu fait miséricorde. Et ça, c’est une chose absolument essentielle.

La première est une manière curative, c’est celle que nous connaissons quand nous allons nous confesser : nous avons commis des péchés, Dieu nous les pardonne, il nous fait miséricorde.

Mais la deuxième manière, encore meilleure, dont Dieu fait miséricorde, c’est de nous préserver du péché. La miséricorde de Dieu n’est pas simplement curative, mais aussi, et bien davantage encore, préventive.

Autrement dit, c’est très important aussi pour nous de nous dire : quand nous ne péchons pas, rendons grâce à Dieu, à la miséricorde de Dieu, qui nous a valu de ne pas pécher.

Quand Jésus meurt sur la Croix, ça n’est pas simplement pour nous pardonner nos péchés, mais c’est aussi, et bien davantage encore, pour nous préserver d’en commettre. Quand nous recevons un sacrement, le sacrement de l’Eucharistie, le sacrement de Réconciliation, ce n’est pas simplement pour nous pardonner nos péchés, c’est aussi pour nous donner la force de ne plus en commettre à l’avenir.

Alors pour bien comprendre cela, j’aime à rappeler cette petite anecdote de Blaise Pascal qui, un jour, fait un voyage à cheval de Clermont-Ferrand jusqu’à chez lui. Il est encore jeune, mauvais cavalier, il tombe de cheval, et heureusement cette chute est sans gravité. Il rentre chez son père et il dit à son père : Père, Dieu m’a fait grande miséricorde aujourd’hui, puisque j’ai eu une chute de cheval, mais, Dieu soit loué, il ne m’est rien arrivé de fâcheux. Et son père lui répond : Et bien moi, mon fils, Dieu m’a fait plus grande miséricorde encore, car j’ai fait le même chemin que toi à cheval depuis Clermont et je ne suis pas tombé !

Cette petite histoire nous permet de comprendre comment la miséricorde de Dieu n’intervient pas simplement pour réparer les pots cassés. Elle est toujours prévenante, préventive, en amont.

Et bien, c’est ce qu’on dit pour la Vierge. La Vierge, loin d’avoir été soustraite à la loi de Rédemption universelle par son Fils, en est la plus parfaite bénéficiaire. En elle, la Rédemption a pleinement réussi, parce qu’elle n’y a mis aucun obstacle.

Le dogme de l’Immaculée Conception nous permet aussi de comprendre que Dieu préméditait notre salut. Il y a là quelque chose de très important. Nous ne sommes pas l’objet d’une miséricorde tardive, comme si Dieu, après coup, s’était dit, comme de guerre lasse : Allez, on va aller les sauver. Non, tout l’Ancien Testament prend, avec le dogme de l’Immaculée Conception, sa consistance.

En effet, qu’est-ce que c’est que cette longue histoire du salut si ce n’est la préparation de cette petite fille merveilleuse, comme dit Bernanos, dont naîtrait le Sauveur ? On dit quelquefois que l’Ancien Testament a préparé Marie comme l’huître fait sa perle. Belle image ! Et vous connaissez sans doute ce texte du romancier Bernanos qui dit : « Le monde, l’ancien monde, le douloureux monde d’avant la grâce, a préparé, de ses vieilles mains chargées de crimes, la petite fille merveilleuse de qui devait naître le Sauveur. »

Voilà, et bien c’est cela, Marie, elle vient au terme de cette longue lignée, et tout l’Ancien Testament est important comme cette longue préparation divine, cette longue pédagogie divine qui amène le peuple d’Israël à concevoir cette petite fille merveilleuse, l’immaculée Marie.
Il faudrait parler aussi du lien entre les dogmes mariales, notamment du lien entre le dogme de l’Immaculée Conception et le dogme de l’Assomption, qui en est un corollaire, comme Pie IX le disait déjà, et comme Pie XII le montrera bien dans sa bulle, qui s’appelle Munificentissimus Deus clin d’œil, évidemment à Ineffabilis Deus.

Une fois l’Immaculée Conception admise, l’Assomption ne fait plus difficulté.

Mais venons à une théologie un peu difficile, celle de Maximilien Kolbe. Il a été fait mention, bien sûr, des évènements de Lourdes, et de cette appellation que la Vierge se donne à elle-même : « Je suis l’Immaculée Conception ». Il y a dans cette réponse de la Vierge quelque chose d’incompréhensible, et le Curé Peyramale, qu’on a cité, était en bon droit de dire : Mais personne ne peut porter ce nom-là. Voilà ce qu’il répond à Bernadette.

Une dame ne peut pas porter ce nom-là. Parce que Marie ne dit pas : Je suis conçue immaculée. Ça, on aurait pu le comprendre. Marie n’aurait fait alors que confirmer ce que le Pape Pie IX avait proclamé quatre ans plus tôt. Mais ce n’est pas ce qu’elle dit. Elle dit : « Je suis l’Immaculée Conception ».

Et le Père Maximilien Kolbe, que vous connaissez sans doute, qui est mort, à Auschwitz, dans les chambres à gaz, comme un héros de la charité, en 1941, fut aussi, on le sait moins, ce qu’il appelle le chevalier de l’Immaculée. Il était franciscain, polonais, de cette école franciscaine qui avait été si importante pour la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Et il a créé la milice de l’Immaculée, il a créé un journal qui s’appelle Les chevaliers de l’Immaculée, etc.

Donc il a été un grand propagandiste de l’Immaculée.Le jour où la Gestapo est venue l’arrêter, le 17 février 1941, il a écrit un petit mémoire sur la Vierge Marie, qui est un texte tout à fait bouleversant, difficile, très théologique, où il explique précisément que Marie ne peut pas porter le nom d’Immaculée Conception.

Et voilà ce qu’il dit : « A Lourdes, la Vierge Immaculée répondit à Bernadette qui l’interrogeait : « Je suis l’Immaculée Conception ». Par ces paroles lumineuses, elle exprima non seulement qu’elle fut conçue immaculée, mais plus profondément qu’elle était l’Immaculée Conception même.

Ainsi autre chose est une chose blanche, et autre chose sa blancheur. Autre chose est une chose parfaite et autre sa perfection. »

Comme disait le poète Charles Péguy : « et un papier blanchi n’est point un papier blanc, et un tissu blanchi n’est point une blanche toile, et une âme blanchie n’est point une âme blanche ».

Marie dit bien plus que le fait qu’elle est immaculée, elle dit : « Je suis l’Immaculée Conception ».
De sorte que le Père Kolbe va jusqu’à appeler Marie l’Immaculation. Et comme c’est un grand théologien, il a étudié le dogme trinitaire, et il s’est aperçu qu’au sein de la Trinité, c’est l’Esprit-Saint qui pourrait porter ce nom : l’Immaculée Conception.

Et il dit : « Et bien voilà que la Vierge Marie donne le nom de son Epoux. Comme une femme prend le nom de son mari, et bien la Vierge Marie se donne le nom de l’Esprit-Saint dont elle est l’épouse. »

Il a des textes très hardis, je vous les cite. C’est Saint Maximilien Kolbe, vous allez voir, certains théologiens hurleraient à entendre ça, mais ça a été en quelque sorte canonisé par l’Eglise, qui a reconnu que c’était une doctrine authentique : « Certes, la troisième Personne de la Sainte Trinité n’est pas incarnée [le Saint-Esprit ne s’est pas incarné], cependant, notre mot humain épouse n’arrive pas à exprimer la réalité du rapport de l’Immaculée avec le Saint-Esprit.

On peut affirmer que l’Immaculée est, en un certain sens, l’incarnation de l’Esprit-Saint. » Heureusement qu’il y a en un certain sens ; quodammodo, aurait dit Saint Thomas. Mais voyez la hardiesse de cette théologie du Père Kolbe.

En tout cas, il rejoint le poète Péguy, il rejoint toute une série de penseurs et de théologiens qui disent que certainement l’Eglise est très loin d’avoir inventorié la richesse du trésor de révélation, qui est donné, et d’avoir compris ce que signifiait le dogme de l’Immaculée Conception dans toute sa pureté.

Et là nous rejoignons ce qui a été dit déjà sur le développement du dogme, avec Newman, et, bien avant Newman, avec Vincent de Lérins, qui au Ve siècle, montrait déjà comment l’Eglise avait reçu, par révélation, un trésor extraordinaire, et qu’au cours des âges, on inventorie ce trésor et on en voit toutes les richesses et toutes les potentialités qu’on n’avait pas encore perçues jusqu’alors.

C’est ainsi qu’on peut dire que l’Eglise a inventé l’Immaculée Conception, mais en prenant inventé au sens étymologique, comme on dit que Christophe Colomb a inventé l’Amérique.

Simplement, on a découvert que cela existait. C’était là, on ne le connaissait pas encore. Et bien, on peut dire que la vérité de l’Immaculée Conception, c’est déjà dans la révélation, qui est close à la mort du dernier Apôtre, mais l’Eglise ne l’avait pas encore perçu jusqu’alors, et elle s’est aperçue de cette vérité avec bonheur, et joie et exultation, au XIXe siècle, et elle en vit, jusqu’à ce jour.

1 commentaire:

Jonas a dit…

Bonjour,
Préparant une réunion sur Marie, je ‘tombe’ sur votre site « destiné à la promotion de l’Immaculée conception de la Vierge », ce qui est déjà surprenant… L’Immaculée conception (avec un I majuscule et un c minuscule, d’après vous) aurait besoin qu’on fît sa promotion, comme un vulgaire téléphone portable ou le kilo de beefsteak ? Bizarre… oui, j’ai dit bizarre !
Et je lis votre article… Vous commencez par : « Partons de ce simple fait : Marie est pleine de grâce. C’est ce que nous disons chaque jour dans le Je vous salue Marie, et il faut revenir sur cette expression étonnante. » Effectivement, il faut !

1 / La salutation de l’ange
Vous écrivez : « Tout se passe comme si ce mot, « kékharitôménè », « comblée de grâce », était le nom propre de la Vierge Marie, comme si Marie ne portait pas d’autre nom quand Dieu voulait la saluer. Il ne trouve pas d’autre nom pour la saluer, pour s’adresser à elle, que le mot « pleine de grâce », « kékharitôménè ».
Peut-être, mais vous faites dire beaucoup à ce mot simple participe parfait passif d’un verbe tout aussi simple. Tellement simple qu’il est employé en Siracide 18,17 pour désigner, simplement, un homme charitable… mais comme tous les mariologues vous aimez la dithyrambe !
Quant à « pleine de grâce », il faudrait l’employer avec plus de discernement, car c’est l’expression appliquée au Verbe de Dieu en Jean 1,14 ; en grec plêrês kharitos, plein de grâce. Comme on la trouve aussi en Actes 6,8 – donc sous la plume de Luc – à propos d’Étienne, on peut penser que si Luc avait voulu dire la même chose à l’Annonciation il l’aurait fait !

2 / Les traductions de la Vulgate et de la Néo-Vulgate
Vous la citez à propos du fameux verset Genèse 3,15. Vous ne pouvez pas parler de traduction en parlant de saint Jérôme ! Vous devez parler de trahison ou, mieux, de rédaction. Car Jérôme a écrit la Bible hébraïque (les autres aussi d’ailleurs).
Dans ce cas précis, il a attribué à Marie un geste qui appartenait à Jésus, puisque le texte dit très clairement que c’est le lignage de la femme qui écrasera la tête du serpent. Jérôme a décidé de modifier le texte pour créer une notion tout à fait étrangère à la pensée biblique. Et vous ne semblez pas du tout choqué par ce tripatouillage qui nous a fait tant de mal ! Car, vous le dites vous-même en substance, sans ce mensonge beaucoup moins de chance de faire aboutir l’Immaculée conception !
Personnellement, je trouve cela parfaitement honteux !
Maintenant, je vous pose une question : dans la mesure où – et je suis sûr que vous le savez – la Néo-Vulgate promulguée par Jean Paul II il y a une vingtaine d’années, qui remplace donc la Vulgate comme traduction officielle, a corrigé la tromperie de Jérôme en écrivant ipsum à la place de ipsa, vous abstiendrez-vous d’argumenter sur Marie écrasant la tête du serpent ?

3 / Une unanimité incertaine
Vous écrivez : « elle est aussi, et tous les exégètes maintenant le reconnaissent, montrée par Saint Jean au pied de la Croix comme la nouvelle Ève ». En êtes-vous bien sûr ?
Personnellement, je suis un lecteur assidu de l’ouvrage en quatre volumes du Père Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean. Cet ouvrage, lui, est reconnu par tous comme un monument de l’exégèse johannique. Aux pages 142 et 143, à propos de Marie à la Croix, il évoque le parallèle que vous considérez comme acquis (nouvelle Ève et femme de l’Apocalypse) et écrit : « Ces interprétations, qui certes ont contribué à nourrir la piété chrétienne, ne peuvent pas être retenues dans notre contexte. Non seulement la pertinence des appuis scripturaires qu’elles invoquent est loin d’être certaine, mais surtout leur perspective fait violence au texte car ce serait alors Marie qui recevrait le disciple sous sa garde. En outre, le fils qui est présenté à Marie est parvenu à la foi par sa relation privilégiée avec le Maître, non grâce à la mère de Jésus. Quant à la lecture proprement mariologique, le concept de maternité céleste de Marie, postérieure de plusieurs siècles, il ne peut être attribué à l’évangéliste. »
Belle reconnaissance, en effet !

4 / Et l’Immaculée conception de Jésus ?...
Pour terminer, une petite question anodine : pourquoi ne pas penser que c’est Jésus qui a bénéficié d’une Immaculée conception ?
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, me direz-vous ! Mais pourquoi pas ceci : « Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine qui tient que notre Sauveur Jésus, le Christ, a été, dans le premier instant de sa conception, par une grâce singulière de Dieu et par privilège, en vue de sa mission de sauveur du genre humain, préservé de toute souillure du péché originel est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. »
Intéressant! Non ? Vous me direz que cela ne sert à rien parce qu'il est Dieu... mais alors l’Immaculée conception de Marie ne sert à rien non plus, sinon à faire plaisir aux mariolâtres. Même saint Bernard n’en voulait pas, c’est tout dire !

Bien à vous.